Citations de Jiddu Krishnamurti
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Amis, ne soyez pas concernés par qui je suis ; vous ne le saurez jamais. Je ne veux pas que vous acceptiez tout ce que je dis. Je ne veux rien d'aucun de vous ; je ne désire pas la popularité ; je ne veux pas votre flatterie, votre suivi. Parce que je suis en amour avec la vie, je ne veux rien. Ces questions ne sont pas d'une très grande importance ; ce qui est d'importance est le fait que vous obéissez et permettez à votre jugement d'être perverti par l'autorité. Votre jugement, votre esprit, votre affection, votre vie sont pervertis par des choses qui n'ont aucune valeur, et dedans se trouve la peine.
J. Krishnamurti
Early Talks, 1930 -
Il est certain que la musique déversée par les appareils de radio est une merveilleuse évasion. Dans la maison voisine, la radio marchait toute la journée et une partie de la nuit. Le père allait à son bureau très tôt le matin. La mère et la fille vaquaient à leurs travaux dans la maison ou dans le jardin ; et quand elles étaient dans le jardin, la radio hurlait plus fort. Apparemment elles goûtaient tout autant les annonces publicitaires que la musique, car lorsqu'elles étaient dans la maison, elles absorbaient tous les programmes. Grâce à la radio on peut écouter à longueur de journée tous les genres de musique, depuis la musique classique jusqu'à la plus moderne ; on peut entendre des pièces policières, des nouvelles et toutes ces choses qui sont constamment lancées sur les ondes. Plus besoin de conversation, plus besoin d'échanger des idées, la radio se charge de tout cela pour vous. On dit que la radio aide les enfants à étudier, et les vaches donnent plus de lait si elles entendent de la musique pendant qu'on les trait.
Ce qui est étrange dans tout cela, c'est que la radio semble bien peu modifier le cours de la vie. Elle peut même faciliter un certain nombre de choses : elle nous donne des nouvelles du monde une vue d'ensemble plus rapide, et grâce à elle le récit des meurtres est plus vivant. Mais l'information ne nous rend pas plus intelligents. La mince couche d'informations sur les horreurs du bombardement atomique, des alliances internationales, des recherches sur les propriétés de la chlorphylle et ainsi de suite ne semble pas changer grand-chose dans notre vie. Nous sommes aussi agressifs qu'avant, nous haïssons certains peuples ou certaines races, nous méprisons tel leader politique et prenons parti pour tel autre, nous sommes les dupes des religions organisées, nous sommes nationalistes, et nos misères continuent ; et nous cherchons à nous évader, par les moyens les plus respectables et les mieux organisés possibles. L'évasion collective est la plus sûre. Si nous regardons en face ce qui est, nous arriverons à faire quelque chose ; mais fuir ce qui est nous rend inévitablement stupides et bornés, esclaves de la sensation et de la confusion.
J. Krishnamurti
Commentaires sur la vie Tome 1, Chapitre 27
La radio et la musique -
Si c'est la première fois que vous entendez déclarer qu'il vous faut être libérés de la pensée, vous allez peut-être dire : « Pauvre type, il est fou ! ». Mais si vous avez vraiment écouté, que vous l'avez fait, non seulement cette fois-ci, mais depuis de nombreuses années au cours desquelles certains d'entre vous ont peut-être lu tout ce qui a été écrit à ce sujet, vous saurez alors que ces propos sont animés d'une vitalité extraordinaire et d'une vérité profonde. Seul l'esprit qui s'est dégagé du connu est créateur. C'est cela, la création. Ce qu'il crée n'a rien à voir avec lui. Être libéré du connu, c'est la condition d'un esprit en pleine création. Comment un tel esprit peut-il se soucier de lui-même ? Pour comprendre cet état d'esprit, vous devez donc vous connaître, observer le processus de votre propre pensée - l'observer sans le modifier, mais simplement l'observer comme lorsque vous vous regardez dans une glace. Lorsque la liberté est présente, vous pouvez alors vous servir du savoir sans qu'il détruise l'humanité. Mais quand la liberté est absente, lorsque vous vous servez du savoir, vous faites le malheur de tous, que vous soyez en Russie, en Amérique, en Chine ou n'importe où. Je qualifie de sérieux l'esprit qui est conscient du conflit du connu sans en être prisonnier et sans faire d'efforts pour modifier ou améliorer le connu. Car sur ce chemin, il n'y a pas de fin à la souffrance et au malheur.
J. Krishnamurti
De la liberté
Saanen, le 11 juillet 1963 -
C'est arrivé soudain, à notre retour dans la chambre ; il était là, nous accueillant chaleureusement, ample, tellement inattendu. Nous ne faisions que passer, parlant de choses et d'autres de peu d'importance. L'accueil de cet « otherness* » fut un choc et une surprise; il attendait dans la chambre, en une invite si franche que toute excuse aurait été futile. A plusieurs reprises, sur le pré communal, loin d'ici, à l'ombre de quelques arbres, il attendait au tournant du chemin que tant de gens empruntaient ; et l'on se tenait là étonné, près de ces arbres, totalement ouvert, vulnérable, sans voix, sans mouvement. Ce n'était pas une fantaisie imaginaire ou la projection d'une illusion personnelle ; l'autre personne aussi l'a senti ; plusieurs fois présent, presque incroyable, en un grand accueil d'amour, il avait à chaque fois une qualité, une beauté, une austérité nouvelles. Et il en était encore ainsi dans cette chambre. Totalement neuf, inattendu, sa beauté laissait le corps et l'esprit sans mouvement; pourtant l'esprit, le cerveau et le corps en devenaient intensément alertes, sensibles. Le corps se mettait à trembler et, après quelques minutes, cet « otherness » si bienveillant se retirait aussi vite qu'il était sans doute venu. Aucune pensée, aucune émotion fantaisiste n'auraient pu provoquer un tel événement ; la pensée est de toute façon mesquine, le sentiment si fragile, trompeur ; l'une pas plus que l'autre, même dans leurs tentatives les plus folles, ne pourraient produire de tels événements. Trop grands, trop immenses dans leur force et leur pureté pour la pensée ou le sentiment, ils n'ont pas de racines, alors que ces derniers en ont. On ne peut les inviter, les retenir ; la pensée-sentiment peut se livrer à toutes sortes d'habiles stratagèmes, mais non pas inventer ou contenir l'« otherness ». Il se suffit à lui-même, rien ne peut le toucher.
* : N’ayant pas d’équivalent en français, ce mot n’a volontairement pas été traduit. Par approximation, on pourrait le traduire par “état autre”, mais cela paraît inadéquat pour suggérer ce que Krishnamurti semble avoir mis dans le mot “otherness”. (N.D.T.)
J. Krishnamurti
Carnets
25 octobre à Rishi Valley -
L'ignorance n'est point le manque de savoir, mais le manque de connaissance de soi ; sans connaissance de soi il n'est point d'intelligence. Contrairement au savoir, la connaissance de soi n'accumule pas; apprendre se fait d'instant en instant. Ce n'est pas un processus additif; dans le processus d'accumulation, il se forme un centre qui est celui du savoir, de l’expérience. Dans ce processus, qu'il soit positif ou négatif, il ne peut y avoir de compréhension. Le mouvement de la pensée, du sentiment, ne peut être compris, et il ne peut y avoir de connaissance de soi tant que subsiste l'intention d'amasser ou de résister. Il n'y a pas d'intelligence sans connaissance de soi. La connaissance de soi est un présent actif, non un jugement; toute autocritique implique une accumulation, une évaluation à partir d'un centre d'expérience et de savoir. C'est ce passé qui fait obstacle à la compréhension du présent actif. La poursuite de la connaissance de soi est un acte d'intelligence.
J. Krishnamurti
Carnets
11 septembre 1961 à Paris -
Que se passe-t-il quand le penseur s'aperçoit qu'il est la pensée ? Que se passe-t-il véritablement quand le penseur est la pensée, de même que «l'observateur» est la chose observée ? Que se passe-t-il ? Dans un tel état il n'y a pas de séparation, pas de division, et par conséquent pas de conflit; et il n'est plus besoin de contrôler ni de mouler la pensée. Que se passe-t-il alors ? La pensée continue-t-elle à vagabonder ? Avant, il y avait un contrôle de la pensée, une concentration, il y avait un conflit entre le « penseur » se proposant de contrôler la pensée, et la pensée errant dans tous les sens. C'est là ,ce qui se passe tout le temps pour nous tous. Et puis, tout à coup, il y a une subite illumination par laquelle on aperçoit que le « penseur » est la pensée - c'est une réalisation, ce n'est pas une affirmation verbale, c'est un mouvement réel. Que se passe-t-il alors ? Y a-t-il encore cette pensée qui vagabonde ? Quand l'« observateur » se prend pour autre chose que sa pensée, alors il se propose de la censurer; il peut alors dire: « Ceci est une pensée juste ou une pensée injuste », ou « la pensée vagabonde, il me faut la contrôler » . Mais quand le penseur réalise qu'il est lui-même la pensée, y a-t-il encore vagabondage ? Regardez en vous-mêmes, messieurs, n'acceptez pas ce qui est dit mais voyez par vous-mêmes. Il y a conflit quand il y a résistance; la résistance est engendrée par le penseur, se figurant qu'il est autre chose que la pensée; mais quand il se rend compte, quand il voit qu'il est lui-même la pensée, il n'y a plus de résistance - et il ne s'ensuit pas que la pensée vagabonde dans tous les sens suivant sa fantaisie, bien au contraire.
Alors toute cette notion du contrôle et de la concentration subit un immense changement; l'esprit devient toute attention, quelque chose d'entièrement différent.
J. Krishnamurti
Le vol de l'aigle
Méditation, chapitre 3, Londres, 23 mars 1969 -
Question : — Pourquoi ne m'évaderais-je pas de moi-même ? Je n'ai rien dont je puisse m'enorgueillir, et en m'identifiant à ma femme, qui est bien meilleure que je ne suis, je sors de moi.
Krishnamurti : Naturellement, la plupart des gens s'évadent hors d'eux-mêmes. Mais en échappant à votre moi, vous êtes devenu dépendant. La dépendance devient plus forte, la fuite plus nécessaire, selon le degré de la peur de ce qui est. La femme, le livre, la radio, prennent une importance extraordinaire ; les évasions deviennent de la plus haute importance, prennent une valeur de plus en plus grande. Je me sers de ma femme comme d'un moyen pour me fuir moi-même, et c'est pour cela que je tiens tant à elle. Je dois la posséder, je ne dois pas la perdre ; et elle aime être possédée, car elle aussi se sert de moi. Il y a un besoin commun d'évasion, et nous nous utilisons mutuellement. C'est cette utilisation que nous appelons amour. Vous n'aimez pas ce que vous êtes, aussi vous vous fuyez, vous fuyez ce qui est.
J. Krishnamurti
Commentaires sur la vie Tome 1, Chapitre 75
La peur et l'évasion -
La nature de l'esprit est d'absorber, d'acquérir, n'est-ce pas ? Ou plutôt, le modèle qu'il s'est établi répond à des notions d'accumulation, et c'est présentement dans cette activité que l'esprit aménage sa propre lassitude, son ennui. L'intérêt, la curiosité, sont le début de l'acquisition qui devient vite de l'ennui. Et le besoin d'être libéré de l'ennui exprime une autre forme de possession. Et l'esprit passe ainsi de l'ennui à l'intérêt pour revenir à l'ennui, jusqu'à ce qu'il ressente une profonde lassitude. Et ce sont ces vagues successives d'intérêt et de lassitude que l'on nomme l'existence.
J. Krishnamurti
Commentaires sur la vie Tome 2, Chapitre 6
L'ennui -
A. – Vous nous proposez d'observer les actions de notre vie quotidienne, mais quelle est l'entité qui décide ce qu'il y a lieu d'observer et quand ? Qui décide s'il faut observer ?
K. – Décide-t-on d'observer ? Ou bien observe-t-on tout simplement ? Prenez-vous une décision pour dire : « Je vais observer et apprendre » ? Parce qu'alors surgit la question : « Qui décide ? » Est-ce la volonté qui dit : « Je dois » ? Et si elle n'y parvient pas elle se punit et affirme : « Je dois, je dois, je dois » ; c'est une situation de conflit ; par conséquent un esprit qui se décide à observer n'observe pas du tout.
Vous vous promenez sur une route, quelqu'un passe près de vous, vous observez et vous vous dites : « Comme il est laid, il sent mauvais, il pourrait se dispenser de faire ceci ou cela. » Vous prenez conscience de vos réactions envers ce passant, vous avez conscience de juger, de condamner et justifier ; vous observez. Vous ne vous dites pas : « Je ne dois pas juger, je ne dois pas justifier. » Cette prise de conscience de vos réactions n'a rien d'une décision. Vous rencontrez quelqu'un qui vous a insulté hier. Immédiatement vous êtes tout hérissé, vous êtes nerveux, anxieux, vous commencez à le prendre en aversion ; prenez conscience de cette aversion, prenez conscience de tout cela, ne décidez pas « de prendre conscience ». Observez, et dans cette observation il n'y a ni « observateur » ni chose « observée » - il n'y a qu'observation. L' « observateur » n'existe que lorsque vous accumulez le contenu de votre observation ; si vous dites : « Tel homme est mon ami parce qu'il m'a flatté », ou : « Il n'est pas mon ami parce qu'il a dit de moi quelque chose de désobligeant, ou quelque chose de vrai mais qui ne me plaît pas » - il y a là une accumulation de l'observation et cette accumulation est l'observateur. Si vous observez sans accumulation, il n'y a pas de jugement. Ceci, vous pouvez le faire tout le temps ; au courant de cette observation certaines décisions sont prises évidemment, mais ces décisions sont des résultats naturels, et non des décisions émanant de l'observateur qui a accumulé.
J. Krishnamurti
L'impossible question
Première partie, Chapitre 5, la peur et le plaisir -
On ne peut se rendre compte de la façon dont on est conditionné que lorsque survient un conflit dans une continuité de plaisir ou dans une protection contre la douleur. Si tout est harmonieux autour de nous ; notre femme nous aime, nous l'aimons, nous avons une maison agréable, de bons enfants, beaucoup d'argent : dans ce cas nous ne sommes en aucune façon conscients de notre conditionnement. Mais lorsque survient l'accident, la femme infidèle, la perte d'une fortune, une menace de guerre ou toute autre cause de douleur et d'angoisse, alors nous savons que nous sommes conditionnés. Lorsque nous luttons contre une chose, quelle qu'elle soit, qui nous dérange, ou lorsque nous nous défendons contre une quelconque menace, extérieure ou intérieure, alors nous savons que nous sommes conditionnés. Et comme la plupart d'entre nous, la plupart du temps, sont perturbés, soit en surface soit en profondeur, ce trouble, ce désordre indique que nous sommes conditionnés. Tant que l'animal est choyé il réagit agréablement, mais dès qu'il rencontre un antagonisme, la violence de sa nature éclate.
J. Krishnamurti
Se libérer du connu
Chapitre 2 -
Etre pleinement conscient du présent est une tâche extraordinairement difficile, parce que l'esprit est incapable de faire face à un fait directement sans illusion. La pensée est le produit du temps et ne peut par conséquent fonctionner qu'en termes de passé ou de futur ; elle ne peut pas être complètement consciente d'un fait dans le présent. Tant que la pensée - qui est le produit du passé - essaie d'éliminer la contradiction et ses problèmes, elle ne fait que poursuivre un résultat, chercher à réaliser un but, et une telle pensée ne peut qu'intensifier la contradiction, donc aussi les conflits, les souffrances et la confusion en nous et par conséquent autour de nous.
Pour être affranchi de la contradiction, l'on doit être conscient du présent, sans rien choisir. Et en effet, peut-il être question de choix lorsqu'on est mis en face d'un fait ? Mais la compréhension du fait est rendue impossible tant que la pensée essaye d'agir sur lui en fonction d'un devenir, de changements, de modifications. La connaissance de soi est le début de la compréhension ; sans cette connaissance, les contradictions et les conflits existeront toujours. Et pour connaître le processus total de soi-même l'on n'a besoin d'aucun expert, d'aucune autorité. La soumission à l'autorité n'engendre que la crainte. Aucun expert, aucun spécialiste ne peuvent nous montrer comment comprendre le processus de notre moi. Chacun de nous doit s'étudier soi-même. Vous et moi pouvons mutuellement nous aider en en parlant, mais personne ne peut mettre au jour nos replis secrets, aucun spécialiste, aucun sage ne peuvent les explorer pour nous. Nous ne pouvons être réellement conscients de notre moi qu'au cours de nos relations avec les choses, les possessions, les personnes, les idées. C'est dans l'ordre de ces relations que nous voyons comment la contradiction surgit aussitôt que l'action cherche à se conformer à une idée. L'idée n'est qu'une cristallisation de la pensée en un symbole et l'effort de se conformer au symbole engendre une contradiction.
J. Krishnamurti
La première et dernière liberté
Sur l'état de contradiction -
Elle disait, sous les arbres, après la causerie, qu'elle était venue pour entendre le maître des maîtres, pour le cas où il parlerait. Elle avait fait preuve d'une grande persévérance, mais maintenant cette persévérance était devenue de l'obstination. Cette obstination était voilée par des sourires et une tolérance raisonnable, une tolérance qu'elle avait soigneusement étudiée et cultivée ; cela venait de l'esprit et comme tel pouvait dégénérer en une intolérance violente et passionnée. C'était une personne grasse et elle parlait d'une voix doucereuse ; mais la condamnation était au bord de ses lèvres, et ses croyances et ses convictions étaient toujours prêtes à se manifester violemment. Il y avait en elle quelque chose de rigide et de refoulé, mais elle s'était vouée à la Fraternité et à sa bonne cause. Elle ajouta, après un moment de silence, qu'elle saurait quand le maître parlerait, car elle et son groupe sentaient cela d'une façon mystérieuse qui n'était pas donnée aux autres. Elle avait une façon de dire cela en penchant la tête qui trahissait l'orgueil de la possesion, d'une connaissance exclusive.
Le savoir particulier, exclusif, offre des satisfactions très agréables. Savoir quelque chose qu'un autre ignore est une source permanente de satisfaction ; cela donne le sentiment d'être en contact avec des choses plus profondes, et cela donne du prestige et de l'autorité. Vous êtes directement en contact, vous avez quelque chose que les autres n'ont pas, et cela vous donne de l'importance, non seulement vis-à-vis de vous-même, mais devant les autres. Les autres ont pour vous une sorte de considération craintive parce qu'ils voudraient partager ce que vous détenez ; mais vous donnez, et vous en savez toujours plus. Vous êtes le chef, l'autorité ; et il n'est pas très difficile d'en arriver là car les gens veulent qu'on les enseigne et qu'on les mène. Plus nous avons conscience d'être dans l'égarement et la confusion, plus nous sommes désireux d'être guidés et informés ; c'est ainsi que l'autorité se fonde au nom d'un Etat, d'une religion, d'un maître ou d'un leader politique.
Le culte de l'autorité, pour les petites comme pour les grandes choses, est néfaste, surtout lorsqu'il s'applique au domaine religieux. Il n'y a pas d'intermédiaire entre vous et la réalité ; s'il s'en présente un, il ne peut être que malfaisant, il ne peut que pervertir la réalité, qui que ce soit, qu'il s'agisse du plus grand messie ou du plus récent gourou. Celui qui sait ne sait pas ; toute sa science n'est constituée que de ses propres préjugés, de ses croyances qui ne sont rien de plus que des projections de son moi, des exigences de ses sens. Il ne peut pas connaître la vérité, l'incommensurable. On peut édifier une position et une autorité et on peut l'exploiter avec art et astuce, mais pas l'humilité. La vertu libère ; mais cultiver l'humilité n'est pas une vertu, cela appartient au domaine de la sensation, donc c'est nuisible et destructeur ; c'est un esclavage qu'il faut briser et rebriser sans cesse.
Ce qu'il est important de découvrir, ce n'est pas de savoir qui est le maître, le saint, le leader, mais pourquoi vous le suivez.
J. Krishnamurti
Commentaires sur la vie Tome 1, Chapitre 28
L'autorité -
Nous sommes toujours des hôtes sur cette terre, avec l'austérité que cela implique. L'austérité est plus profonde que le renoncement des possessions. Ce mot d'austérité a été spolié par les moines, les ermites, les sannnyasi. Il n'avait pas de sens là-haut, dans la solitude des choses, des multitudes de pierres, de petits animaux, de fourmis. Et dans le lointain, au-delà des collines, la grande mer brillait, étincelait. Nous avons scindé la terre comme si elle nous appartenait - votre pays, le mien, votre drapeau, son drapeau, la religion d'ici et celle de l'autre, là-bas. Le monde, la terre est divisée, en morceaux. Nous nous battons et nous disputons pour la possession, et les politiciens exultent de pouvoir maintenir cette division, sans jamais considérer le monde comme un tout. Ils n'ont pas l'esprit global. Jamais ils ne ressentent ni ne perçoivent l'immense potentiel de n'avoir pas de nationalité ni de division. Ils ne s'aperçoivent jamais de la laideur de leur pouvoir, de leur position, de leur sentiment de supériorité. Ils sont comme vous et moi, mais ils occupent le siège du pouvoir avec toute la mesquinerie de leurs désirs et de leurs ambitions. Ainsi, ils assurent la survivance d'un comportement « tribal » que l'homme a toujours eu à l'égard de l'existence. Ils n'ont pas l'esprit libre de tout idéal ou idéologie, l'esprit qui dépasse les divisions entre les races, les cultures, et les religions que l'homme a inventées. Les gouvernements seront nécessaires tant que l'homme ne sera pas sa propre lumière, tant qu'il ne mettra pas de l'ordre et de l'affection dans sa vie quotidienne, et qu'il ne portera pas un soin attentif à son travail, à ses observations, à son apprentissage. Il préfère être dirigé dans ses actes, comme il l'a été depuis toujours, par les anciens, les prêtres, les gourous. Et il accepte les ordres de ceux-ci, leurs curieuses pratiques destructrices, comme s'ils étaient des dieux incarnés, comme s'ils connaissaient toutes les conséquences de cette vie si extraordinairement complexe.
J. Krishnamurti
Dernier Journal
Vendredi 11 mars 1983 -
Le seul désir de s'abriter sous ses propres conditionnements engendre d'autres souffrances, d'autres problèmes ; car le conditionnement sépare, isole, et ce qui est isolé ne peut pas vivre. Et ce qui est isolé aura beau tenter de s'unir à ce qui est isolé, cela ne formera jamais un tout. Ce qui est séparé est toujours isolé, quoi qu'il fasse pour accumuler et unir, se développer, s'inclure et s'identifier. Ce qui conditionne est destructeur ; mais l'esprit superficiel ne peut pas voir la vérité de cela, car il est prisonnier de sa recherche de la vérité. La vérité est action, et non l'activité du superficiel, du chercheur, de l'ambitieux. La vérité est le bon, le beau, et non l'activité de la danseuse, du faiseur de systèmes, du moulin à paroles. C'est la vérité qui libère le superficiel, et non ses efforts pour se libérer. Le superficiel, l'esprit, ne peut jamais se libérer lui-même ; il ne peut qu'aller d'un conditionnement à un autre, en s'imaginant que l'autre est plus libre. Le plus n'est jamais libre, il conditionne, il est une expansion du moins. Le mouvement de devenir, de l'homme qui veut devenir le Bouddha comme celui qui veut devenir directeur, est l'activité du superficiel. L'homme superficiel a toujours peur de ce qu'il est ; mais ce qu'il est est la vérité. La vérité est l'observation silencieuse de ce qui est, et c'est la vérité qui transforme ce qui est
J. Krishnamurti
Commentaires sur la vie Tome 1, Chapitre 76
Exploitation et activité -
Nous sommes les choses que nous possédons, nous sommes ce à quoi nous tenons. Il n'y a aucune noblesse dans l'attachement. L'attachement à la culture, au savoir, n'est pas différent des autres formes de penchants agréables. L'attachement fait que le moi s'absorbe en lui-même, que ce soit aux niveaux les plus bas ou les plus élevés. L'attachement est l'illusion du moi, une tentative pour fuir le vide du moi. Les choses auxquelles nous sommes attachés -- biens, personnes, idées -- prennent une importance capitale, car privé de tout ce qui emplit son vide, le moi n'existe pas. La peur de ne pas être nous pousse à posséder ; et la peur engendre l'illusion, l'asservissement aux conclusions. Les conclusions, matérielles ou imaginaires, empêchent l'intelligence de parvenir à maturité, à cette liberté sans laquelle la réalité ne peut pas se faire jour ; et sans cette liberté, l'habileté est prise pour de l'intelligence. Les voies de l'habileté sont toujours complexes et destructrices. C'est cette habileté, armure protectrice du moi, qui conduit à l'attachement ; et lorsque l'attachement cause de la souffrance, c'est cette même habileté qui recherche le détachement et jouit de l'orgueil et de la vanité de la renonciation. La compréhension des voies de l'habileté, les voies du moi, est le commencement de l'intelligence.
J. Krishnamurti
Commentaires sur la vie Tome 1, Chapitre 45
La vie dans une ville -
Sans l'innocence, il est impossible d'être heureux. Le plaisir des sensations n'est pas le plaisir de l'innocence. L'innocence est libération du fardeau de l'expérience. C'est le souvenir de l'expérience qui corrompt, et non l'expérience elle-même. Le savoir, le fardeau du passé, constitue la corruption. Le pouvoir d'accumuler, l'effort pour devenir détruisent l'innocence, et sans l'innocence, peut-il y avoir la sagesse ? Celui qui est seulement curieux ne connaîtra jamais la sagesse ; il trouvera, mais ce qu'il trouvera ne sera pas la vérité. Le méfiant ne connaîtra jamais le bonheur, car la méfiance est une forme d'anxiété qui concerne l'être propre, et la peur engendre la corruption. L'intrépidité n'est pas le courage mais la liberté par rapport à l'accumulation.
J. Krishnamurti
Commentaires sur la vie Tome 2, Chapitre 9
L'effort -
L'autre jour quelqu'un se déclarait krishnamurtien, alors que tel ou tel autre appartenait à un groupe différent. Ce disant, l'homme n'avait aucunement conscience de ce qu'impliquait cette identification. Il n'était d'ailleurs nullement sot : instruit, au contraire, cultivé et tout ce qui s'ensuit, et ne compliquait la question ni de sentiment ni d'émotion. Il était clair, précis.
Pourquoi cet homme était-il devenu krishnamurtien ? Il en avait suivi d'autres, après avoir appartenu lui-même à diverses organisations, à divers groupes tous plus ou moins fastidieux, et se trouvait en fin de compte identifié à cette personne particulière. De ce qu'il raconta il ressortait que le voyage était terminé. L'homme avait pris position, c'en était fait ; il avait choisi, rien ne pouvait l'ébranler. Il allait désormais s'installer confortablement et se conformer avidemment à tout ce qui avait été dit et serait dit par la suite.
Lorsque nous nous identifions à un autre, y a-t-il là indication d'amour ? L'identification implique-t-elle l'expérimentation ? L'identification ne met-elle pas fin, au contraire, à l'amour et à l'expérimentation ? L'identification est, sans aucun doute, possession, assertion de propriété, et la propriété est, n'est-il pas vrai, la négation de l'amour. Posséder c'est être en sécurité ; la possession est une défense qui vous rend vulnérable. Dans l'identification il y a résistance, flagrante ou subtile ; l'amour est-il une forme de résistance autoprotectrice ? Y a-t-il amour lorsqu'il y a défense de soi ? L'amour est vulnérable, souple, réceptif.
J. Krishnamurti
Commentaires sur la vie Tome 1, Chapitre 2
L'identification -
L'ignorant n'est pas celui qui manque d'érudition, mais celui qui ne se connaît pas lui-même et l'érudit est un sot lorsqu'il cherche l'entendement dans des livres, dans des connaissances, auprès d'autorités. L'entendement ne vient qu'à celui qui se connaît lui-même, c'est-à-dire qui a la perception de la totalité de son propre processus psychologique. Ainsi, l'instruction, dans le vrai sens de ce mot, est la compréhension de soi, car c'est en chacun de nous que l'existence entière est ramassée.
Ce que, de nos jours, on appelle instruction est une accumulation de faits, un savoir livresque qui est à la portée de toute personne sachant lire. Une telle façon de s'instruire offre une forme subtile d'évasion, et, comme toutes les fuites hors de nous-mêmes, crée inévitablement un surcroît de misères. Nos conflits et notre état de confusion résultent des rapports faux que nous entretenons avec les gens, les choses, les idées, et tant que nous ne comprenons pas et ne modifions pas ces rapports, le fait d'apprendre, de recueillir des données, d'acquérir différentes sortes d'habiletés, ne peut que, nous enfoncer davantage dans le chaos et la destruction.
J. Krishnamurti
De l'éducation
Ce qu'est le vrai enseignement, chapitre 2 -
La sensation est une chose, autre chose est le bonheur. La sensation cherche toujours d'autres sensations, et dans des cercles toujours de plus en plus vastes. Il n'y a pas de fin aux plaisirs de la sensation ; ils se multiplient, mais il y a toujours de l'insatisfaction dans leur accomplissement ; il y a toujours le désir d'avoir davantage, et c'est un désir qui ne finit pas. La sensation est inséparable de l'insatisfaction, et c'est le désir d'obtenir toujours davantage qui les unit étroitement. La sensation est le désir d'avoir plus et le désir d'avoir moins. Le désir d'avoir plus naît au moment même où la sensation est accomplie. Le plus est toujours dans le futur ; c'est l'éternelle insatisfaction de ce qui a été. Il y a conflit entre ce qui a été et ce qui sera. La sensation est toujours insatisfaction. On peut déguiser la sensation sous un vêtement religieux, mais elle sera toujours ce qu'elle est : une chose de l'esprit et une source de conflit et d'appréhension. Les sensations physiques réclament toujours davantage ; et quand elles sont frustrées, il y a la colère, la jalousie, la haine. Il y a du plaisir dans la haine, et l'envie est agréable ; lorsque la sensation est frustrée, le plaisir se trouve dans l'antagonisme même que la frustration a provoqué.
J. Krishnamurti
Commentaires sur la vie Tome 1, Chapitre 85
Sensation et bonheur -
Il y a tant à faire dans ce monde, détruire la misère, vivre heureux, vivre dans la félicité au lieu du tourment et de la peur, construire une société d'un genre entièrement différent, une moralité qui soit au-dessus de toute moralité. Mais ceci ne peut être accompli que quand la moralité de la socété actuelle est complètement rejetée. Il y a tant à faire et cela ne peut pas être fait tant que ce processus constant d'isolement se poursuit. Nous parlons du "moi" et du "mien", et de "l'autre" - l'autre est de l'autre côté du mur, le moi et le mien sont de ce côté-ci. Alors comment cette essence de résistance, qui est le moi, comment peut-elle lâcher prise complètement ? Parce que c'est là véritablement la question la plus fondamentale dans tous nos rapports. Nous avons vu que les contacts entre les images n'en sont pas véritablement. Quand ce genre de rapports existe il y a forcément conflit, inévitablement nous nous sautons à la gorge les uns des autres.
Si vous vous posez cette question, vous direz : "Faut-il que je vive dans un vide, dans un état de vacuité ?" Je me demande si jamais vous avez su ce que c'est d'avoir l'esprit complètement vide. Vous avez toujours vécu dans un espace engendré par le "moi" (un espace très restreint). Cet espace que le "Je", ce processus d'auto-isolement, a créé entre un être humain et un autre, c'est le seul espace que nous connaissions - celui qui s'étend entre soi-même, le centre et la circonférence - la frontière construite par la pensée. C'est dans cet espace que nous vivons, et dans cet espace il y a toujours division. Vous vous dites : "Si je me laisse aller, si je renonce, si j'abandonne ce "moi", je vivrai dans le vide." Mais avez-vous jamais lâché prise du "moi", l'avez-vous fait vraiment, au point qu'il n'existe plus de moi du tout ?
J. Krishnamurti
Au seuil du silence
Paris, 1968 : Quatrième entretien -
Il n'arrêtait pas de parler de Dieu, de ses prières du matin et du soir, de ses jeûnes, de ses voeux, de ses désirs brûlants. Il s'exprimait d'une façon claire et précise, et il trouvait toujours le mot juste, sans hésitation ; il avait l'esprit bien entraîné, et il devait cela à sa profession. C'était un homme vif et aux yeux brillants, encore qu'il y eût dans son attitude quelque chose de guindé. Tout son corps trahissait une obstination et un manque de souplesse. Il était manifestement doué d'une volonté puissante et, bien que le sourire lui montât aisément aux lèvres, il était toujours sur le qui-vive, et toujours prêt à se dominer. Il menait une existence très régulière et s'il changeait parfois ses habitudes, c'était par un décret de sa volonté. Sans la volonté, disait-il, il ne peut y avoir de vertu ; la volonté était absolument nécessaire pour triompher du mal. La lutte entre le bien et le mal ne cessait jamais, et seule la volonté pouvait faire échec au mal. Il y avait en lui une certaine tendresse aussi, et il regardait souvent la pelouse et les fleurs en souriant, d'un air heureux ; mais il ne laissait jamais son esprit errer hors des limites que lui avait imposées sa volonté. Bien qu'il évitât soigneusement tout écart de langage, toute manifestation de colère ou d'impatience, sa volonté le rendait parfois étrangement violent. Si la beauté ne dérangeait pas l'ordre de ses pensées, il l'acceptait volontiers ; mais on sentait chez lui la peur de la sensualité, dont il essayait de contenir la douleur. C'était une homme instruit et de manières courtoises, et sa volonté le suivait comme son ombre.
La sincérité ne peut jamais être simple ; la sincérité est le terrain d'élection de la volonté, et la volonté ne peut pas dévoiler le mécanisme du moi. La connaissance de soi n'est pas le produit de la volonté ; la connaissance de soi se fait jour à travers la lucidité des réponses immédiates au mouvement de la vie. La volonté exclut ces réponses spontanées qui seules révèlent la structure du moi. La volonté est l'essence même du désir ; et la volonté devient un obstacle à la compréhension du désir. La volonté sous toutes ses formes, qu'elle soit tournée vers les cimes de l'esprit ou vers les racines les plus profondes du désir, ne peut jamais être passive ; et ce n'est que dans la passivité, dans le silence vigilant, que la vérité peut être. C'est toujours entre les désirs qu'il y a conflit, à quelque niveau que se situent les désirs. Opposer un désir aux autres désirs ne fait qu'engendrer une résistance ultérieure, et cette résistance est la volonté. La compréhension ne peut pas venir d'une résistance. Ce qui est important, c'est de comprendre le désir, et non d'étouffer un désir par un autre.
J. Krishnamurti
Commentaires sur la vie Tome 1, Chapitre 34
La sincérité -
S'il n'y a pas d'ordre dans vos rapports à votre femme, à votre mari, à vos enfants, à vos voisins proches ou lointains, ne parlez plus de méditation. Sans ordre dans votre vie, vos tentatives de méditation vont vous faire tomber dans le piège des illusions. Si vous avez le sérieux, et si vous avez l'ordre – pas un ordre provisoire, l'ordre absolu – cet ordre peut se tourner vers l'ordre cosmique, cet ordre est en relation avec l'ordre cosmique. L'ordre cosmique est le coucher du soleil, le lever de la lune, le merveilleux ciel du soir dans toute sa beauté. Examiner le cosmos, l'univers à travers un télescope n'est pas l'ordre. Si l'ordre est là, dans notre vie, alors cet ordre est en relation extraordinaire avec l'univers.
J. Krishnamurti
Cette lumière en nous -
Pourquoi recherchons-nous le bonheur ? Pourquoi cette éternelle compulsion à être heureux, être joyeux, être quelque chose ? Pourquoi cette quête, cet effort inouï en vue de trouver ? Si nous pouvons comprendre cela, le pénétrer pleinement, peut-être pouvons-nous connaître le bonheur sans lui courir après. Parce que, en définitive, le bonheur est un dérivé, d'importance secondaire. Il n'est pas une fin en soi; s'il est une fin en soi, il n'a aucun sens. Qu'est-ce que cela veut dire, être heureux ? L'homme qui boit un verre est heureux. L'homme qui jette une bombe sur une foule se sent électrisé et dit qu'il est heureux, ou que Dieu est avec lui. Les sensations passagères, qui s'évanouissent, donnent ce sentiment d'être heureux. Il doit quand même exister une qualité autre, essentielle, au bonheur. Car le bonheur n'est pas une fin, pas plus que la vertu. La vertu n'est pas une fin en soi : elle procure la liberté, et en cette liberté se produit la découverte. C'est pourquoi la vertu est essentielle. Au contraire, un être non vertueux est servile, désordonné, flottant, désorienté, brouillon. Mais traiter la vertu comme une fin en soi, ou le bonheur comme une fin en soi, n'a que très peu de sens. Donc le bonheur n'est pas une fin.
J. Krishnamurti
Oeuvres Collectées - volume V -
Il faut se demander pourquoi cette division – le Russe, l'Américain, le Britannique, le Français, l'Allemand... – pourquoi cette division entre l'homme et l'homme, race contre race, culture contre culture, un type d'idéologie contre un autre ? Pourquoi ? Pourquoi cette séparation ? L'homme a partagé la terre entre ma terre et votre terre, pourquoi ? Est-ce parce que nous cherchons la sécurité, l'autoprotection au sein d'un groupe particulier ou d'une croyance, d'une foi particulière ? Car les religions aussi ont divisé l'homme, dressé l'homme contre l'homme – les hindous, les musulmans, les chrétiens, les juifs, etc. Le nationalisme, avec son tragique patriotisme, n'est en fait qu'une forme améliorée, une forme distinguée de tribalisme. Dans une tribu, petite ou grande, règne un sentiment d'être ensemble, de parler la même langue, de partager les mêmes superstitions, le même système politique ou religieux. Alors on se sent en sécurité, protégé, heureux, soutenu. Pour avoir cette sécurité, ce soutien, nous voulons bien en tuer d'autres qui ont le désir identique de se sentir en sécurité, protégé, d'appartenir à quelque chose. Ce désastreux désir d'identification avec un groupe, un drapeau, un rituel religieux nous donne le sentiment d'avoir des racines, de ne pas être des vagabonds sans attaches.
J. Krishnamurti
Le dernier journal -
Notre activité quotidienne est presque entièrement centrée sur nous-mêmes ; elle repose sur un certain point de vue, certaines expériences personnelles et idiosyncrasies. Nous pensons en termes de famille, de travail, de ce que nous voulons obtenir, et aussi selon nos peurs, nos espoirs et nos découragements. Le tout est bien sûr centré sur nous-mêmes, le résultat étant qu'on s'isole soi-même, comme on peut le voir dans la vie de chaque jour. Nous avons nos désirs secrets, nos démarches cachées et nos ambitions, et nous n'avons jamais de relation profonde avec nos femmes, nos maris, ou nos enfants. Cet isolement résulte aussi de notre fuite face à l'ennui du quotidien, aux frustrations et à la trivialité de notre vie ordinaire. Il est également causé par les échappatoires variées au sentiment phénoménal de solitude qui nous accable lorsque nous sentons soudain que nous n'avons de relation avec rien, que tout est hors de portée, qu'il n'y a aucune communion, aucune relation avec quiconque.
J. Krishnamurti
Oeuvres Collectées - volume XIV -
Écouter est un art qu'il n'est pas facile d'acquérir, mais il y a là une grande beauté et une grande source de compréhension. Nous écoutons aux divers niveaux de notre être, mais notre écoute se fait toujours à partir d'idées préconçues ou d'un point de vue particulier. Nous n'écoutons pas simplement ; l'écran de nos pensées, de nos conclusions, de nos préjugés vient toujours s'interposer entre nous et ce que nous écoutons... Il faut, pour écouter, un calme intérieur, un renoncement à tout effort d'acquérir, une attention détendue. Cet état passif et cependant vigilant est apte à entendre ce qui est au-delà de la conclusion verbale. Les mots sont source de confusion ; ils ne sont qu'un lien de communication extérieur ; mais pour communier au-delà du bruit des mots, il faut écouter avec une passivité vigilante. Ceux qui aiment peuvent écouter ; mais il est extrêmement rare de rencontrer quelqu'un capable d'écouter. Nous courons presque tous après des résultats, la réalisation d'objectifs ; nous triomphons, nous conquérons sans trêve, et ainsi nous n'écoutons pas. Ce n'est qu'en écoutant que l'on entend la chanson des mots.
J. Krishnamurti
Commentaires Sur la Vie, Tome 1, Note 67 'Désir et conflit -
Lorsqu'on voit une chose très belle, une montagne magnifique, un coucher de soleil splendide, un sourire ou un visage ravissants, on se tait, abasourdi par l'émotion. Cela vous est sûrement déjà arrivé, n'est-ce pas? On a l'impression d'étreindre l'univers. Votre esprit a été touché par une chose extérieure ; mais je parle d'un esprit qui, loin d'être abasourdi, a envie de regarder, d'observer. Mais êtes-vous capable d'observer sans que votre conditionnement ne remonte irrésistiblement à la surface? Face à un être en proie à la souffrance, je la mets en mots, je l'explique: la souffrance est inévitable, elle découle de l'accomplissement des désirs. Ce n'est qu'une fois toutes les explications épuisées qu'on peut enfin la regarder – ce qui signifie qu'on ne la regarde pas à partir d'un centre. Lorsqu'on regarde à partir d'un centre, les facultés d'observation sont limitées. Si je n'arrive pas à m'arracher à un lieu tout en souhaitant être ailleurs, cela provoque en moi une tension, une douleur. Quand j'examine la souffrance à partir d'un centre, je souffre. C'est l'impossibilité d'observer qui cause la douleur. Je ne peux pas observer, si je pense, si j'agis ou si je regarde à partir d'un centre – comme c'est le cas lorsque je dis: « Je ne dois pas avoir mal », « Il faut que je sache pourquoi je souffre », « Je dois éviter la souffrance ». Lorsque j'observe à partir d'un centre – que ce centre soit une conclusion, une idée, ou l'espoir, le désespoir, ou quoi que ce soit d'autre – cette observation reste très restreinte, très étroite, très mince, et cela engendre une souffrance.
J. Krishnamurti
Oeuvres Collectées, volume XII, pp. 94-95 -
Il n'existe aucun chemin pour aller à la vérité, c'est elle qui doit venir à vous. Mais elle ne peut venir à vous que si votre cœur, votre esprit sont simples et clairs, et que votre cœur est rempli d'amour, et non des choses de l'esprit. Quand l'amour est dans votre cœur, vous ne parlez ni d'organiser la fraternité universelle, ni de croyances, ni de divisions, ni des pouvoirs qui les suscitent, vous n'avez nul souci de réconciliation. Vous êtes alors, tout simplement, un être humain sans étiquette, sans pays. Cela signifie que vous devez vous dépouiller de toutes ces notions et permettre à la vérité de venir au jour ; et elle ne peut advenir que lorsque l'esprit est vide, qu'il cesse de créer. Alors elle viendra sans que vous l'y invitiez. Alors elle viendra, vive comme le vent, et furtive. Elle vient en secret, pas lorsqu'on est aux aguets, à l'attendre. Elle surgit, soudaine comme le soleil, pure comme la nuit ; mais pour la recevoir, le cœur doit être plein et l'esprit vide. Alors qu'à présent vous avez l'esprit plein et le cœur vide.
J. Krishnamurti
Oeuvres Collectées, volume V, p. 205 -
Je vais maintenant examiner comment on peut se libérer de la peur du connu, c'est-à-dire la peur de perdre ma famille, ma réputation, mon caractère, mon compte en banque, mes appétits, et le reste. Vous pouvez dire que la peur est un phénomène de conscience ; mais votre conscience est formée par votre conditionnement, par conséquent elle aussi est le résultat du connu. De quoi se compose le connu? D'idées, d'opinions diverses, de ce sens de la continuité que l'on a par rapport au connu, et c'est tout...
Il y a la peur de souffrir. La douleur physique est un réflexe nerveux ; mais la douleur psychologique surgit lorsque je m'accroche à des choses qui me sont agréables, car je redoute alors tout ce qui pourrait m'en priver. Les accumulations psychologiques constituent un barrage à cette souffrance tant qu'elles ne sont pas menacées: je suis un paquet d'accumulations et d'expériences, qui s'opposent à tout ce qui pourrait les déranger, donc j'ai peur, et c'est du connu que j'ai peur, de ces accumulations physiques ou psychologiques dont je me suis entouré pour empêcher l'affliction de se produire... Les connaissances aussi ont pour but de l'éviter. De même que les connaissances médicales sont utiles contre la douleur physique, les croyances le sont contre la douleur psychologique, et c'est pour cela que j'ai peur de perdre mes croyances, bien que je sois imparfaitement renseigné à leur sujet et que je n'aie pas la preuve concrète de leur réalité.
J. Krishnamurti
La Première et Dernière Liberté, pp. 89-90 -
Entrer en contact avec la mort, mourir sans discussion, savez-vous ce que cela veut dire? Car la mort, lorsqu'elle vient, n'argumente pas avec vous. Pour lui faire face, vous devez, chaque jour, mourir à toute chose: à votre angoisse, à votre solitude, aux relations auxquelles vous vous accrochez ; vous devez mourir à vos pensées, mourir à vos habitudes, mourir à votre femme afin de la regarder avec des yeux neufs ; vous devez mourir à la société afin de pouvoir, en tant qu'être humain, être neuf, frais, jeune, et capable de la regarder avec ces yeux-là. Mais vous ne pourrez pas affronter la mort si vous ne mourez chaque jour. Ce n'est que lorsqu'on meurt que naît l'amour. L'esprit qui a peur est dénué d'amour – il a des habitudes, il a de la sollicitude, il peut se forcer à être bon et superficiellement attentionné. Mais la peur engendre la souffrance, et la souffrance, c'est le temps sous forme de pensée.
Donc, mettre fin à la souffrance, c'est entrer en contact avec la mort de votre vivant – en mourant à votre nom, à votre maison, à vos biens, à votre cause, de sorte que vous débordiez de fraîcheur, de jeunesse, de lucidité, et que vous puissiez voir les choses telles qu'elles sont, sans la moindre distorsion. C'est ce qui va se passer à l'heure de votre mort. Mais notre mort aux choses physiques est limitée. Nous admettons, en toute logique et en toute raison, que l'organisme cesse un jour de vivre. C'est pourquoi nous nous inventons une vie, tissée de tout notre vécu – tissée de nos angoisses quotidiennes, de notre insensibilité quotidienne, de nos problèmes toujours plus nombreux, de toutes ces stupidités de la vie ; cette vie que nous voudrions perpétuer, nous l'appelons l'« âme » – qui est, selon nous, ce qu'il y a de plus sacré, qui participe du divin, alors qu'elle fait toujours partie de votre pensée et n'a donc rien à voir avec la divinité. Telle est votre vie !
Il faut donc, chaque jour, vivre et mourir à la fois – car c'est en mourant qu'on est au contact de la vie.
J. Krishnamurti
Oeuvres Collectées, vol. XV, p. 33